Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mercredi 25 décembre 2013

DE QUOI MAGGIE DE BLOCK EST-ELLE LE NOM ? (paru dans Marianne Belgique du 15/12/2013)

 Vrai produit politique en devenir ou phénomène passager…

DE QUOI MAGGIE DE BLOCK EST-ELLE LE NOM ?

A sa nomination, ce modèle pour Botero fut injustement la risée de la rue de la Loi. Aujourd’hui, sans correspondre à aucun copié-collé des normes du marketing électoral classique, elle est l’arme massive des libéraux flamands. Puisque l’OpenVLD, “c’est, ah oui, le parti de Maggie De Block”. Celle avec qui la politique ressemble à une téléréalité régionale: avec un beau retour aux valeurs du Nord  (“Werken, niet babbelen”*) et de bons personnages bien carrés.
Question: de quoi Maggie De Block est-elle donc le nom?

La fausse débutante.

1) A coups de formules désarçonnantes (“Ce qui est gai en politique, c’est qu’on peut dire n’importe quoi”, “Je fais mon petit possible”), Maggie De Block aime cultiver un côté néophyte en politique. “Je suis sortie de nulle part”, aime-t-elle répéter. Rien n’est plus faux: lorsqu’elle coupe un ruban inaugural à Merchtem, au Nord de Bruxelles, le bourgmestre n’est autre que son pointu frère Eddy. Et la présidente du CPAS local n’est autre que sa fille Julie. Qui y succèda à son papa, le mari de Maggie, par deux fois échevin. Membre du parti depuis ses 16 ans, c’est du sang politique familial rhésus PVV-VLD qui coule dans les veines bleues du Dr De Block. Et les couloirs complexes du Parlement, elle les connaît comme sa poche depuis 2003 (elle fut Secrétaire de la Chambre), bien avant d’être élue en juin 1999. Sans grande concurrence dans sa circonscription, Mme Tout le Monde y récoltera assurément, en mai 2014, un joli score dans son panier de ménagère revenant du marché. C’est beaucoup moins sûr, ailleurs, pour l’OpenVLD, de moins en moins flamand, toujours si influencé par Guy Verhofstadt, le thatchérien devenu libéral de gauche anti-nationaliste…
De même, lorsque le dandy Alexander De Croo la branche, en 2011, sur la prise de l'Asile, de l'Immigration et de l'Intégration sociale, Maggie fait un peu trop mine d’ignorer tout de ces dossiers. S’il est vrai que, simple parlementaire, elle s’intéressait plutôt au prix des couronnes dentaires ou à l’absentéisme à la Poste, elle n’en posait pas moins nombre de questions tantôt sur la disparition des mineurs des Centres d’Asile ouverts ou tantôt sur le “critère de l’orientation sexuelle pour ce qui est des réfugiés politiques”… Sans assurément connaître tout des arcanes subtiles du secteur, elle ne débarquait pas non plus en terre inconnue. Et, pour la première fois, non controversée , de la droite au centre-gauche au pouvoir.
Elio Di Rupo, interrogé il y a peu sur les renvois de réfugiés, a laissé échapper l’aveu:Ce sont des politiques que la coalition mène pour faire en sorte de ne pas faire éclater le pays.”
Entendez qu’il s’agit avant tout de renforcer l’OpenVLD et autres flamands face à la N-VA. Maggie De Block s’est donc retrouvée servie par des circonstances exceptionnelles: l’autorisation politique d’agir sans être contestée. Elle n’est pas ligotée comme le fut Annemie Turtelboom sous Leterme et Van Rompuy.

La porte fermée aux émotions.

2) Maggie De Block est-elle une personnalité à la volonté aussi réelle que son physique de femme forte? Assurément pas pour elle-même: si elle assume et use de son physique affectif et  “maternellement” freudien , la contradiction entre son métier de médecin et son obésité est la question qu’elle fuit toujours obstinément à l’aide de l’une ou l’autre pirouette. Tactique de fuite qui chasse aussi apparemment, dans son métier, toutes les émotions qui pourraient flouter sa grande mission politique. Comme si elle avait décidé de fermer sa porte aux sentiments en ne se raccrochant qu’à des textes administratifs arides: ceux de la législation belge, de l’Europe ou de l’ONU. Ainsi, pour ce qui est de son dossier le plus délicat (les réfugiés afghans et leurs enfants, scolarisés et parfois nés en Belgique) de son refus obstiné de se rendre perso en Afghanistan. Surtout ne pas se retrouver à “voir”, de ses yeux voir, la réalité d’un terrain promis au retour des lois talibanes. Toujours se retrancher derrière les avis incontestés et incontestables de ses administrations et n’user point trop de son pouvoir discrétionnaire, comme si elle était Secrétaire générale d’administration, pas de ces ministres fous de politiques qui, au delà de leurs défauts, ont une flamme dans le regard.
On peut donc lire tout à la fois Gabriel Garcia Màrquez et adopter l’attitude d’un célèbre préfet de Judée.
La jovialité de Maggie De Block est un piège, un roc, allez, disons-le, un bloc sur lequel se fracassent toute question exprimant un doute. Tous ceux qui croisent le fer avec elle, qui contestent ou cherchent simplement à mieux établir le bilan réel de ses actions, se rejoignent assez: Maggie-la-libérale-sociale se veut sourde. Elle refuse le débat, elle ponce-pilate, fuit la discussion, déteste la contradiction, n’aime guère qu’on soulève des questions dérangeantes, répugne régulièrement à fournir des chiffres et statistiques précises, préférant qu’on lui “fasse confiance”. Car la réalité du terrain, fait de milliers de réfugiés aussi clandestins que discrets, diffère pour le moins de ses statistiques tellement en baisse. Qui lui ont permis -coup de maître en com’ pour démontrer àla Flandre qu’elle était vraiment la “bonne gestionnaire”- de se permettre de reverser 90 millions d’€ à l’Etat. Quitte à rogner aussi au passage des budgets sur une autre de ses attributions: l’aide aux SDF. Alors que les infrastructures d’accueil pleurent chroniquement, manque de moyens.
Une sympathisante de la cause des afghans, pas du genre militante excitée à propager portnawak, se dit toujours estomaquée par la réponse que lui aurait faite Maggie lorsqu’elle a essayé de dialoguer. Ça aurait donné à peu près ceci :
- Mais vous savez, ils ont froid dans cette église du Béguinage ! (le lieu ou les afghans ont trouvé refuge à Bruxelles)
- C'est la faute du prêtre, il n'avait qu'à pas les accueillir…
Humour made in Merchtem. D’autant plus troublant que De Block ne veut pas non plus être vue comme une “Dame de Fer” qu’elle n’est pas. 

Le frère bourgmestre et flamingant

3) Il est d’autres sujets que Maggie déteste: ceux qu’elle maîtrise mal. Car- et c’est ici qu’il faut relativiser sa popularité toute récente- Maggie n’est pas, comme on dit, un “animal politique”. Elle doit précisément son succès du moment à n’apparaître qu’efficace et peu politicienne.
C’est le piège qui peut se refermer sur elle. Si elle est populaire, l’OpenVLD ne l’est guère. Et les départs vers la N-VA (le dernier en date étant carrément celui de l’ancien colistier de Gwendolyn Rutten à Louvain) n’arrangent pas le tableau. D’où la tentation de la mettre fortement en avant d’ici mai 2014.  
Tiens, avez-vous jamais entendu Maggie De Block, qui habite pourtant dans la périphérie de Bruxelles, s’exprimer sur le communautaire?
Or, sur le sujet, son frère Eddy, son bourgmestre, est plutôt du genre agité. C’est Eddie De Block qui refusait d’organiser des élections si BHV n’était pas scindé. C’est Eddie le frérot qui  avait essayé de faire interdire l’usage de toute autre langue que le néerlandais dans les écoles de la commune: autant d’ailleurs entre parents et enseignants qu’entre enfants. C’est encore Eddy De Block qui avait décrété l’interdiction des panneaux et affichages des marchands ambulants du marché local en d'autres langues que le néerlandais (ce fut cassé par le Gouvernement flamand)
Avez-vous ouï Maggie De Block causer fiscalité, économique, budget? Après avoir présidé le dernier congrès des libéraux flamands –celui ou Gwendolyn Rutten s’est excusée pour les mesures fiscales adoptées par les libéraux- Maggie fit sourire toute la Flandre en n’arrivant à formuler aucune réponse à la question toute bête d’un journaliste: “Combien ça coûte?”. (2) Euh. Et interrogée l’autre week-end par Pascal Vrebos sur le fameux “Bonus de liquidation des entreprises” (qui passera de 10% à …25%, cauchemar de nombreux indépendants en fin de carrière) disons pudiquement que sa réponse flottante, constellée d’hésitations, n’était guère convaincante.
Bref, dans un débat face à un Kris Peeters où à un Bart De Wever- dont les assises de popularité sont toutes autres- on demande à voir.
Les femmes en politique sont toujours soupconnées du péché de séduction. Tout le battage médiatique qui a inventé, amplifié le personnage hors-normes de Maggie, créé le hype, a ses évidentes limites. Le marketing de la “nouvelle modestie”, le mythe de la “femme normale” venue s’asseoir quasi par hasard rue de la Loi retombera aussi. Dura lex sed lex, aussi en médiapolitique.

L’asile et l’immigration, problématiques sensibles

4) C’est la première fois que les dossiers de l’asile et de l’immigration sont, dans ce pays, quelque peu traités dans l’esprit du “Bastion Européen” qui se constitue peu à peu et où la Méditerranée devient, dramatiquement, un cimetière. 
Maggie profite grandement de cette magie du commencement. Qui fait appliquer des règles, dans un domaine ou c’était, à tort où à raison, rarement le cas. En version plus sociale, “open mind”, elle répond ainsi à cette même angoisse migratoire qu’ un Sarkozy a tant utilisée pendant son quinquennat. Cette problématique là est très sensible en Flandre, après un passé jugé “bien trop laxiste”. Lorsque ce contexte s’affaiblira, l’effet s’estompera.
Et ne pas s’y tromper: lorsqu’elle se proclame sans cesse“Sévère mais juste”, De Block n’est pas loin de recycler les campagnes électorales qui, jadis, firent gagner les socialistes flamands de Louis Tobback. Qui proclamait itou la nécessité d’attitudes très fermes pour sauver la Sécurité Sociale.
Dans le fond, c’est sans doute ce côté strict, efficace, cette énergie à se montrer “bonne gestionnaire”, parfois jusqu’à l’absurde ou l’injuste, qui sera la meilleure carte pour l’avenir de Maggie De Block, future ministre qui sera toujours plus technocrate que généraliste de la politique.
Reste à voir si, responsable par exemple de la SNCB, elle pourrait être aussi populaire en faisant en sorte que les trains arrivent enfin à l’heure. C’est qu’un CEO public, ça se croit désormais supérieur à un(e) ministre. C’est qu’un cheminot en colère, dans l’histoire sociale belge, ça ne se laisse pas reconduire aussi facilement qu’un réfugié.


Michel HENRION.

(1)“Travailler, ne pas bavarder”
(2) Le flop de Maggie, qui a fait sourire toute la Flandre, en vidéo : http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/videozone/Gezien%2Bop%2Btv%253F/1.1771845